La vie des employés de banque n’est pas une sinécure, confirme une nouvelle enquête scientifique sur les risques psycho-sociaux (RPS) commandée par le syndicat National de la Banque (SNB / CFE-CGC), et à laquelle ont répondu plus 5.700 banquiers, quasiment le double de la précédente étude menée en 2011. L’atmosphère est particulièrement délétère en banque d’affaires où quasiment un quart des collaborateurs subit des « comportements de mépris » (24%) et de « déni de la qualité du travail » (22,5%). Des chiffres deux fois plus élevés que la moyenne nationale tous secteurs confondus soit 13% et 10%(Darès) !
La violence psychologique n’est pas la seule raison qui explique que la peur s’est installée au travail pour plus d’un tiers (37%) des banquiers d’affaires. Le sentiment d’insécurité de l’emploi est en hausse dans le secteur bancaire dans son ensemble : plus d’un collaborateur sur quatre (29%) craint pour son emploi (soit +6 points en 3 ans). « Les plans sociaux ont provoqué un traumatisme d’autant plus fort qu’ils se sont déroulés dans des entreprises « riches », où les RH étaient surtout former à recruter », relève Valérie Pérot, ingénieure en organisation du travail, et dirigeante d’AEPACT, un cabinet d’expertise intervenant beaucoup dans le secteur auprès des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). « On s’est surtout préoccupé de ceux qui partaient, moins de ceux qui restaient. Les RH ont eu moins de temps pour gérer les carrières et sont de surcroît peu formés aux RPS », précise cette psychologue du travail.
« À Paris, on a l’impression d’être ‘géré en extinction’ »
Les employés se sentent souvent démunis face aux multiples réorganisations en cours. « À Paris, on a l’impression d’être “géré en extinction” car on remonte le business ailleurs à Londres, à New-York ou en Asie. On vit dans la crainte d’un transfert d’équipe. Le pire c’est que mon destin est corrélé à celui de mes collègues dans cette histoire. Si sur une équipe de 12 personnes, on veut 9 transferts et que 5 seulement acceptent que se passe-t-il ? », s’interroge une collaboratrice en front-office d’une BFI française. Difficile dans ces circonstances de se projeter dans l’avenir. Aussi, le fait de devoir changer de métier (qualification, fonction, statut) dans les années à venir est une certitude pour ¾ des collaborateurs.
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Pourtant, il y aurait plus inquiétant encore pour la santé des banquiers, à savoir l’industrialisation des process bancaires et la pression hiérarchique qui va avec, selon l’enquête SNB. Aujourd’hui, les ¾ des banquiers français témoignent d’une quantité excessive de travail et deux tiers assurent ne pas disposer du temps nécessaire pour faire correctement leur travail, principalement du fait des « procédures et normes de production ».
Un constat, somme toute, assez similaire à celui de 2011, et que l’on peut dresser aussi bien en banque de détail qu’en banque d’affaires ou dans les services centraux. Les managers et les front-offices semblent néanmoins aujourd’hui plus impactés que les collaborateurs et les back-offices.
L’étau de l’industrialisation
Ceci est « le résultat du déploiement des méthodes organisationnelles inspirées des principes du « lean management », ceux-là mêmes qui ont été développés dans l’industrie dans les années 1980-90 et qui se retrouvent aujourd’hui appliqués au secteur tertiaire », explique celui qui a dirigé l’étude, Xénophon Vaxevanoglou, ergonome et psychologue du travail, enseignant à l’Université Droit et Santé de Lille 2.
Ces nouvelles exigences, dont le « seul objectif est la recherche de gains de productivité exactement comme sur une chaîne de montage d’une usine Renault », sont d’autant plus dangereuses pour la santé des collaborateurs que 1 - l’erreur dans le travail est peu tolérée (pour 8 banquiers sur 10, elle entraîne des conséquences négatives à leur égard) ; 2 - l’autonomie au travail est faible, y compris en banque d’affaires, pour la majorité voire les deux tiers des collaborateurs ; 3 - les critères d’évaluation sont considérés comme non-objectifs et injustes par plus d’un collaborateur sur deux ; 4 - plus étonnant à l’ère de la standardisation et des process réglementés, l’absence d’informations claires est évoquée par 53% des collaborateurs en BFI et des consignes contradictoires par 47% d’entre eux.
Les banquiers ont donc été amenés à toujours faire plus de reporting, sans que cela les aide à faire du meilleur travail voire même à faire moins bien ou faire « des choses qu’ils désapprouvent » (sentiment partagé par près d’un banquier d’affaires sur 2).
Entre silence et résistance
En outre, le climat ne pousse pas les collaborateurs à la confidence. « Pour se protéger, les collaborateurs sont donc contraints de se ‘procéduraliser’ et mais aussi de cacher leurs émotions pour 2/3 tiers d’entre eux. Ce qui déshumanise davantage les relations et augmente les effets négatifs sur la santé (troubles musculo-squelettiques, hypertension artérielle…) », explique Xénophon Vaxevanoglou.
L’experte en CHSCT Valérie Pérot confirme : « On est ici beaucoup dans le paraître. Il y a une autocensure et une virilisation des relations même chez les femmes. Attitude difficile à tenir sur la longueur. Aussi nous rencontrons plus que par le passé des banquiers avec des problèmes d’addiction, notamment médicamenteuse ».
Seule réjouissance apportée par cette étude : « le secteur bancaire est marqué par un fort soutien social entre collègues », relève Régis Dos Santos, président du SNB/CFE-CGC. Ainsi, 72% des collaborateurs assurent qu’ils peuvent compter sur le soutien de leurs collègues dans les situations difficiles et 50% sur le soutien de leur hiérarchie – deux chiffres qui ont même progressé de 4-5 points en 3 ans. Une forme de résistance en somme face à la pression des nouvelles organisations du travail qui pourtant poussent à une individualisation croissante des tâches et des responsabilités.
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