La nomination d’Emmanuel Macron à Bercy est-elle vraiment une surprise ? N’avait-il pas été déjà pressenti comme candidat potentiel à un portefeuille ministériel à la veille du dernier remaniement fin mars, après la déroute du PS aux municipales ?
Ce « mozart de la finance » n’a jamais cessé de brouiller les pistes. Son parcours atypique à divers égards nous permet d’en savoir plus sur les banques d’affaires en général, et sur Rothschild en particulier, à la fois comme chasseur et pourvoyeur de talents et réseau d’influence au coeur du pouvoir politico-financier.
Macron, un profil de jeune banquier d’affaires atypique, vraiment ?
On n’entre pas chez Rothschild par hasard. Néanmoins l’arrivée dans la banque d’affaires le 1er septembre 2008 – dix jours avant la chute de Lehman Brothers – de cet ancien thésard en philosophie, dernier assistant de Paul Ricœur (qu’il a aidé à rédiger La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli) jette le trouble… « J’ai eu de la chance, confiait-il au Point en 2012. J’avais un parcours très peu intelligible. Personne ne pouvait le comprendre ailleurs que chez Rothschild ».
Certes, Emmanuel Macron ne présente pas le profil classique des jeunes recrues de la banque d’affaires. Très majoritairement issus des meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs, ces jeunes diplômés frais émoulus des plus prestigieuses formations françaises entrent comme analystes, avant de gravir péniblement un à un les nombreux échelons de la banque (analyste 1ère, 2e et 3e année, puis associate, directeur, managing director, associé-gérant). Le fils de médecins de province entre, lui, chez Rothschild, à 30 ans et directement au poste de directeur. Une « belle entrée, très bien valorisée », résume Etienne Maillard, fondateur et associé du cabinet de chasse Themis Executive Search.
« Voies parallèles »
Cependant « des voies parallèles ont toujours exister pour entrer dans le monde très élitiste de la banque d’affaires », insiste de son côté, Arnaud de Courson, ancien banquier, devenu chasseur de têtes en finance, et également conseiller général divers droite de Levallois-Perret. « C’est particulièrement vrai Outre-manche où l’on retrouve plus couramment des diplômés de lettres ou de philosophie dans le secteur, ce qui ne les empêche pas d’être de très bons banquiers ! », assure ce consultant, tombé jeune, lui aussi, dans la marmite politique alors qu’il était encore jeune banquier.
D’ailleurs, la philosophie et la banque d’affaires ne sont pas des disciplines si éloignées, après tout. « L’aptitude au raisonnement, la capacité d’interprétation, la déclinaison des processus sont communs aux banquiers et aux philosophes. La banque d’affaires n’est pas aussi linéaire et mécanique que l’on imagine », prévient Denis Marcadet, président-fondateur du cabinet Vendôme & Associés. Le chasseur de têtes en finance ne croit pas si bien dire. Le bras droit de David de Rothschild, François Henrot, qui a recruté Macron en 2008, a publié “Le Banquier et le Philosophe” en 2010. Ouvrage dans lequel il dialogue avec le philosophe Roger-Pol Droit à propos de la crise de 2008 et des banquiers.
Une autre façon de recruter ?
C’est un constat. Depuis plusieurs années, le culturel et l’identitaire ont pris du poids dans le choix des recrutements au sein de la banque d’affaires. « On s’attache moins aux compétences financières stricto sensu, et on porte une attention particulière croissante à la personnalité, à la maturité, à l’intelligence comportementale et à l’intellectualité des candidats », témoigne Denis Marcadet.
À cet égard, des établissements comme Lazard ou Rothschild à Paris se montreraient plus « ouverts » dans leurs recrutements que d’autres banques d’investissement appartenant à des banques universelles hexagonales notamment. C’est en tout cas l’avis d’Arnaud de Courson : « cela s’explique d’abord par leur dimension et leur culture internationale. Mais aussi parce qu’ils sont des pure players du conseil et n’utilisent donc pas leur capital pour des opérations de financement par exemple. En cela, leur politique de recrutement se rapproche de celle des grands cabinets de conseil comme McKinsey ».
L’ENA, un passeport en or pour la finance
Il n’empêche. En France, il est rare que la philosophie mène à la banque d’affaires. Par contre, les énarques comme Macron sont des candidats tout à fait séduisants. « Comme chez les avocats, les établissements financiers aiment à recruter des énarques passés par l’inspection des Finances et/ou dans les cabinets ministériels notamment à Bercy pour leur réseau », explique Etienne Maillard.
Après ses quatre années réglementaires à l’Inspection des finances, le jeune énarque sympathisant de gauche se paye le luxe de refuser d’entrer dans un cabinet ministériel sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Et ce, malgré plusieurs offres du cabinet d’Eric Woerth. Car l’ambitieux a déjà commencé à tisser des liens précieux pour sa carrière bancaire et politique.
La puissance du réseau : la vraie valeur d’un candidat pour une banque d’affaires
Le jeune inspecteur des finances devient chargé de mission auprès de Jean-Pierre Jouyet, brièvement président de Barclays France en 2005 avant de diriger l’Inspection générale des finances. Sa « seule véritable expérience managériale », confiait-il en avril 2010 à Rue Saint-Guillaume, le magazine de Sciences Po dont Macron est également issu et où il a enseigné. Il venait alors d’être promu gérant chez Rothschild. Sept plus tard, c’est Jouyet lui-même, entre temps passé à la tête de l’AMF, de la CDC et dernièrement de la BPI, qui annoncera sur le perron de l’Elysée la nomination de son protégé à Bercy, non sans émotion.
C’est surtout sa participation à la commission Attali, installée en août 2007, qui va servir à Macron de tremplin vers une carrière bancaire. Sa confrontation aux membres de la commission le conforte dans l’idée qu’il a alors plus à gagner à rejoindre le privé. Il opte pour la finance « plus libre et entrepreneuriale que d’autres secteurs ». Il est recruté par Rothschild sur les conseils du financier et énarque Serge Weinberg, président du fonds d’investissement Weinberg Capital Partners, et membre de la commission, et les recommandations de Jacques Attali.
Rothschild sait récompenser ses talents
Le monde de la banque d’affaires a montré dernièrement qu’il était prêt à mettre le paquet pour attirer et retenir les plus méritants. Crise et concurrence obligent. Cela passe par l’argent, et de plus en plus par des promotions accélérées. C’est incontestablement le cas pour Macron. « Entré comme directeur en septembre 2008, sans aucune expérience de banquier, il est promu gérant l’année suivante et associé-gérant un an plus tard. Manifestement ce parcours météorique illustre de grandes réussites sur le plan professionnel », relève Etienne Maillard.
Une forte rémunération va de pair. D’autant que « Rothschild a beaucoup moins souffert que ses concurrents de la crise », indique Odile Couvert, co-fondatrice du cabinet de chasse Amadeo Executive Search Managing Partner. Les chasseurs interrogés estiment à 500k€ la rémunération globale de Macron chez Rothschild au début de sa courte carrière bancaire, en tant que directeur, et à 900k€ en 2012. Des sommes qui lui donnent une forte indépendance et une liberté de mouvement pour la suite.
Rothschild au cœur du pouvoir ?
Fort de cette expérience de 4 ans en banque d’affaires, Macron s’en est donc allé. En mai 2012, après s’être largement investi dans la campagne de François Hollande, en parallèle de sa carrière bancaire, il entre comme secrétaire général adjoint de l’Élysée.Avoir laissé filer ce talentueux financier, qui avait conseillé Lagardère pour la vente de ses magazines internationaux ou la société Atos pour le rachat de Siemens IT, est-il un aveu d’échec pour Rothschild ?
Pas sûr. En dehors de la banque, Macron peut aussi servir les intérêts de son ex-employeur. Avant qu’il ne soit nommé à Bercy, on disait déjà de Macron qu’il était devenu le relais indispensable des patrons avec le pouvoir politique. « Emmanuel Macron est notre porte d’entrée auprès du Président », confiait à Challenges dès 2012 Stéphane Richard le P-DG de France Telecom.
Et puis, Rothschild ne semble s’offusquer de l’engagement politique de certains de ses collaborateurs. La banque ne compte-t-elle pas parmi ses actuels associés-gérants et membres du Comité Exécutif, Grégoire Chertok, un proche de Jean-François Copé, conseiller régional d’Île-de-France et adjoint au maire UMP du 16ème arrondissement de Paris ? La banque a l’habitude de gérer les ambitions politiques de ses banquiers. En son temps, François Pérol avait quitté l’établissement pour devenir secrétaire général adjoint de l’Élysée, lui aussi.
« Il n’y a qu’en France que deux banques d’affaires [Lazard et Rothschild] centralisent à ce point le système d’influence, écrit la journaliste Martine Orange dans son ouvrage Rothschild, une banque au pouvoir, paru en 2012. Elles sont au cœur du pouvoir. […]. Le ministère des Finances en a fait ses interlocuteurs privilégiés, leur déléguant tant de missions qu’elles finissent par être des ministères bis de l’Industrie et de l’Economie ».
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