En matière de rémunération en finance, la confusion règne souvent, entre les rumeurs, les discours parfois contradictoires des chasseurs, les études de salaires des cabinets de recrutement qui excluent souvent le variable… Pour tenter de se faire une image juste de ce marché difficile à capturer, le site Internet Emolument.com, spécialiste des rémunérations dans l’industrie financière, a réalisé une recherche comparative en exclusivité pour eFinancialCareers.fr sur les grandes places financières où l’on retrouve le plus les financiers français, à savoir Paris, Londres et New York.
Deux secteurs ont été examinés à la loupe : la banque d’investissement et le front-office en finance de marché, avec respectivement plus 650 et 950 données salariales entrées par des professionnels depuis fin 2012.
Et si les Parisiens n’étaient pas si mal payés au bout du compte ?
Sans surprise, dans les deux cas, les rémunérations parisiennes sont à la peine par rapport aux grandes places anglo-saxonnes. En revanche, les chiffres suggèrent que les banquiers d’affaires français ont plutôt intérêt à débuter leur carrière Outre-Manche ou Outre-Atlantique avant de revenir à Paris une fois parvenu à un poste senior. Les écarts entre les places sont en effet surtout très élevés en début de carrière et s’amenuisent fortement par la suite. Ainsi, le salaire médian de l’analyste parisien en banque d’affaires est 30% inférieur à celui de son collègue londonien et jusqu’à -40% par rapport à ses confères new-yorkais. Bien plus tard, au rang de managing director (MD), les rémunérations totales sont quasi les mêmes à Paris et à New-York, et une légère différence (10%) est à relever entre Paris et Londres.
De manière générale, les plus grandes différences salariales s’observent surtout en finance de marchés, fait remarquer Thomas Drewry, co-fondateur du site Emolument. « Et c’est encore plus vrai depuis ces dernières années, Londres ayant profité de la crise financière pour se réaffirmer comme pôle central des activités de trading en Europe, au détriment principalement de Paris devenu une place secondaire y compris pour les grandes banques françaises », affirme cet ancien chasseur de têtes, fondateur du cabinet Veni Partners à Londres avant de lancer Emolument en 2012.
En finance de marchés, mieux vaut faire évoluer sa carrière à Londres qu’à New York. Une vraie flambée des rémunérations s’observe à La City au niveau Vice-President (VP) et, plus encore après au niveau MD, où la rémunération totale moyenne atteint 831k €, soit 35% de plus qu’à Wall Street et deux fois plus qu’à Paris. De plus, le fait que la rémunération moyenne soit ici bien plus élevée que la médiane (831k € versus 598k €) indique que Londres s’affiche clairement comme un marché de hauts revenus. Or c’est l’inverse qui se passe à New York et à Paris, où la moyenne est moins élevée que la médiane, et donc les plus hautes rémunérations ne sont le lot que de seulement quelques chanceux.
Au final, les Français sont-ils les parents pauvres de l’industrie financière ? Thomas Drewry n’en est pas persuadé. Et pour cause, ces chiffres bruts ne prennent pas en compte le pouvoir d’achat dans chacune de ces villes. Prenons la question du logement : les beaux quartiers de Londres enregistrent un prix au m2 frôlant les 50k contre 13k pour les quartiers parisiens les plus huppés. Sans parler du système de santé, le coût de l’éducation des enfants, ou encore l’indemnisation chômage. À cela, il faut encore ajouter une « pression plus forte à La City, et une carrière qui subit davantage les effets des crises », rappelle Thomas Drewry. Du coup, pas sûr qu’en bout de course, les Français soient perdants financièrement. D’un point de vue du rapport rémunération / équilibre vie professionnelle et vie privée (vacances, « ponts » du mois de mai…), les Français sont même probablement gagnants ! »
Et les bonus, alors ?
Historiquement, la culture du bonus est plus forte à New York qu’à Londres. D’après Thomas Drewry, la crise n’a fait que renforcer cette tendance. « En 2009, la pression de l’opinion publique en Europe a limité la part des bonus dans la rémunération totale. Mais dans la foulée, les fixes ont été largement revalorisés à Londres surtout. Par exemple, les MD y ont souvent vu leur salaire doubler (de 150k à 300k euros en moyen) », explique ce dernier.
À Paris, les augmentations de fixes n’ont pas atteint ces proportions. La hausse des fixes pourrait néanmoins s’effectuer courant 2014, quoique dans une moindre mesure, prédit Emolument. La raison ? Le plafonnement des bonus à 100% du fixe (CRD4) qui s’appliquera aux bonus versés en 2015 (au titre de l’année 2014) met particulièrement Paris en porte-à-faux. La question se poste surtout pour les banquiers les plus seniors (MD) dont le bonus représente environ 150% du salaire fixe médian en banque d’affaires comme en finance de marchés.
Ces chiffres viennent d’ailleurs confirmer les conclusions d’un récent rapport du régulateur européen du secteur financier (EBA) sur les professionnels dont la rémunération dépasse le million d’euros. Ainsi, selon l’EBA, le bonus représentait à Paris près de 5 fois le salaire fixe pour ces « high earners » en France, contre 3,78 fois à Londres. Les assouplissements annoncés par l’EBA en décembre dernier devraient cependant temporiser la hausse des salaires fixes.
Pendant ce temps, malgré la pression qui s’exerce au sein des banques américaines sur les rémunérations, les professionnels des établissements américains affirment, dans leur majorité, avoir décroché un bonus cette année en hausse par rapport à celui de l’an passé, selon Emolument. Sur 305 données collectées depuis le 1er jour d’annonce des bonus en investment banking and markets, 52% des utilisateurs du site Internet spécialisé disent avoir reçu un bonus en hausse. Et 15% font état d’une hausse supérieure à 30%. L’année dernière, la majorité des bonus était en baisse (de l’ordre de 10 à 20%), nous indique Emolument. « Je ne vois pas pourquoi les employés des banques européennes, et notamment françaises, ne bénéficieraient pas, eux-aussi, d’une hausse – probablement plus mesurée – de leur bonus cette année – à l’exception des professionnels des taux (en raison de leurs mauvais résultats en 2013) », conclut Thomas Drewry.
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