Les banquiers travaillent beaucoup. Dans certains cas, ils semblent même se tuer au travail. Et comme vous l’aurez sans doute déjà remarqué, quelques années au rythme de 80 heures par semaine dans la finance peuvent s’avérer fort dommageables pour votre santé, physique comme mentale.
Alexandra Michel, une ancienne de Goldman Sachs aujourd’hui professeur à l’Université de Pennsylvanie, a étudié pendant 12 ans les effets délétères d’une carrière en banque sur le corps humain. Elle vient de révéler les résultats d’une deuxième étude, suite logique de la première : comment évoluent les anciens banquiers qui ont essaimé vers d’autres secteurs. Comme l’indique le Financial Times dans son édition du 21 mars dernier, la dernière publication d’Alexandra Michel démontre bien à quel point les dérives workooliques de ces ex-banquiers perdurent : même après avoir quitté le monde de la banque, ils continuent de travailler énormément alors même qu’ils n’en ont plus l’obligation. Pire encore, ils ont tendance à convertir leurs nouveaux collègues à leurs habitudes de travail.
Alexandra Michel nous livre une étude pour le moins exhaustive. Pour son dernier ouvrage*, elle a suivi quatre groupes composés de banquiers de haut niveau, spécialisés en M&A ou marchés de capitaux, et s’est lancée dans un travail de fourmi : quelques 700 heures d’entretien auprès de 200 contacts, et 136 interviews de 30 à 45 minutes chacune. Confirmant les conclusions de sa précédente étude, elle a ainsi pu établir que les banquiers travaillent énormément non pour répondre à une contrainte, mais de leur propre initiative ; cette approche tirerait son origine d’un subtil conditionnement social – tout le monde travaille comme un fou dans une banque et le surcroît de travail est directement lié au contexte. Les banquiers sont convaincus de choisir en toute liberté l’étendue de leur implication professionnelle, mais en réalité, ils sont conditionnés par les codes de leur secteur.
Que se passe-t-il donc pour ceux qui décident de quitter le milieu bancaire ? Les témoignages recueillis par Alexandra Michel auprès d’anciens banquiers partis vers des mers apparemment plus calmes sont sans ambages…
1. Workoolique un jour, workoolique toujours
« Ma vie ressemble à un jour sans fin, confie cet ex-banquier devenu consultant. J’ai un nouveau job mais je travaille toujours de la même façon. Je n’arrive pas à fermer mon ordinateur avant minuit. Impossible de me défaire de cette habitude. »
2. La perception tronquée d’une journée de travail “normale” a la vie dure
« Je me suis organisé une petite vie bien tranquille ici. Je suis rarement au bureau passé 23 heures », indique un ancien banquier de Wall Street, parti travailler en private equity dans l’Arizona.
3. Vous continuez à travailler toujours trop, même en pensant travailler moins
« J’ai quitté la banque en partie pour trouver une meilleure qualité de vie et profiter plus de ma famille, avoue un autre transfuge de la banque. Mais mes critères de normalité ont été tellement altérés par le milieu bancaire que ce qui m’apparaissait comme une vie normale s’est finalement révélé impossible à tenir à long terme ».
4. Votre passé de banquier et votre capacité de travail suscitent l’admiration – mais aussi des attentes…
« J’ai commencé à travailler beaucoup lorsque j’étais à la banque, en partie à cause de la pression de mon entourage professionnel. Partir avant minuit induit systématiquement des remarques du style : ‘petite demi-journée aujourd’hui ?’. Plus vous bossez, plus on vous voit comme un héros, confirme cet ancien banquier. Mais j’ai constaté depuis que c’est partout pareil. Prenez les gens que je rencontre à la salle de sport : mes compétences ne leur parlent pas, ils n’ont aucune idée de ce représente le deal X ou Y. Etre capable d’abattre des montagnes de travail, en revanche, les interpelle, et ils sont plutôt admiratifs. »
5. Difficile d’admettre que l’on se tue au travail, même après avoir quitté la banque pour une vie théoriquement plus tranquille
« Même à mes débuts dans mon nouveau job, je ne me sentais pas très bien. Impossible de dire pourquoi, j’avais des douleurs persistantes dans les hanches, le cou, les poignets, les genoux, j’avais vraiment mal partout. Je ne parvenais pas à me concentrer ; il me fallait des heures pour faire ce qui ne me prenait que quelques minutes auparavant. Je sais maintenant que j’étais en dépression, confesse un autre ex-banquier. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment. Je pense aujourd’hui que je l’ai en partie refoulé parce que rien ne justifiait cette situation. Tout dans ma vie, y compris le contexte extra-professionnel, semblait parfait. J’avais décroché le job de mes rêves. Nous avions une maison sublime. J’avais la possibilité de travailler de chez moi plusieurs jours par semaine… »
6. Le télétravail ou quand le rêve tourne au cauchemar
« Puisque la plupart d’entre nous travaillent de chez eux, il est difficile d’évaluer le temps nécessaire aux autres pour une même tâche, commente un autre ancien banquier. Bien sûr, je travaille beaucoup et je suis constamment fatigué et déprimé, mais qui ne l’est pas ? »
Quand travailler trop devient contagieux
Alexandra Michel fait ressortir un point intéressant : les ex-banquiers interrogés ont transmis leur culture du travail à leurs nouveaux collègues. Ils ont généralement tendance à imposer une culture du résultat similaire à celle qui prévaut dans les banques – concrètement, chacun peut travailler à son rythme, tant que les résultats sont là en temps et en heure. En théorie, voilà un bon moyen d’améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Sauf que… dans les faits, toutes les nouvelles recrues observées dans l’étude se sont vite retrouvées débordées, engluées qu’elles étaient dans une lutte sans merci pour s’arroger les meilleurs résultats !
*”Participation and self-entrapment: A twelve-year ethnography of Wall Street participation practices’ diffusion and evolving consequences”
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